La pulsion sociale nous pousse nécessairement à rechercher la présence de l’autre à intervalle régulier. Combien de temps êtes-vous capable de rester seul(e) ? Physiquement mais aussi sans média interposé (TV, réseaux sociaux…) ? Notre besoin de contact social peut se mesurer par cette durée de solitude tolérée. Plus l’intervalle est faible et plus le besoin est fort, plus il est conséquent et plus la pulsion est douce. Ce besoin de l’autre est naturel mais quand celui-ci n’est jamais rassasié, quand il s’intensifie et devient destructeur il se transforme en dépendance affective.
La pulsion hédonique, la dopamine
Nous sommes gouvernés par le plaisir. Il est une pulsion non spécifique. Elle nous pousse à explorer notre environnement mental et écologique d’une manière indéterminée. Cette pulsion hédonique est sous-tendue par l’Aire Tegmentale Ventrale (ATV) qui se situe dans la partie supérieure du tronc cérébral. L’ATV est un groupe de neurones qui projettent leurs axones sur des structures nerveuses sous-corticales comme les noyaux accumbens ou corticales comme le cortex préfrontal. Ces neurones libèrent comme neurotransmetteur de la dopamine qui active les cellules post-synaptiques. La dopamine est le neurotransmetteur de la pulsion hédonique. Il est le plaisir qui anime notre esprit.
La pulsion socio-affective, l’ocytocine
Le désir, le plaisir qui pousse à agir peut être spécifié et orienté vers un objet particulier. L’ocytocine joue ce rôle. Elle est une neuro-hormone qui oriente le désir vers l’autre. Cette pulsion socio-affective a la fonction d’obtenir de l’affection de la part des autres. Nous avons tous besoin de l’autre, de son attention, de sa reconnaissance, de sa présence. Ce besoin est universel. Notre besoin affectif nous rend dépendant des autres comme la faim nous contraint à rechercher de la nourriture. Nous ne pouvons pas vivre seul très longtemps sans souffrance. Notre autonomie par rapport à l’autre est relative et se compte en heures comme n’importe quel besoin. La neuropsychologie permet d’identifier les réseaux nerveux et les molécules de ce besoin affectif.
Le besoin affectif s’exprime par la libération d’ocytocine des noyaux paraventriculaire et supraoptique dans les synapses de l’aire tegmentale ventrale (ATV) et du noyau accumbens (Nac) constituant le système de récompense. L’augmentation d’ocytocine stimule la production de dopamine de ces structures. De cette manière, le désir est spécifié par l’ocytocine qui donne une direction pour être régulé. L’autre devient l’objet du désir. La conscience motivée d’interagir choisit mentalement une ou des personnes satisfaisantes et cherche à rentrer en contact. L’Autre étant une source d’incertitude, il peut être agréable comme désagréable. Il est nécessaire de développer toute une intelligence sociale pour obtenir les récompenses désirées. Les récompenses sociales désirées obtenues produisent une libération d’opiacés des neurones du noyau arqué vers les structures d’ocytocine et de dopamine et inhibe leur activité. Cette inhibition transitoire du désir social marque sa satisfaction.
Le circuit normal du besoin de l’autre peut se schématiser de cette manière :
Du besoin normal de l’autre et la dépendance affective pathologique
Quand le désir affectif génère des attentes irréalistes et inadaptées, (cf. techniques cognitives) la réalité des autres et des relations sociales ne peuvent pas être satisfaisantes. Ce décalage entre ce que veut la personne de la part des autres et ce qu’ils peuvent donner provoque une frustration et crée le manque affectif. La dépendance affective pathologique pourrait se définir par « un type d’attachement qui lie une personne à une autre et dont la qualité et l’intensité ne correspond pas à la qualité et à l’intensité de la relation réelle. Il peut s’agir d’un attrait systématique envers des personnes avec qui une relation ne s’établit pas, d’une incapacité à quitter une relation malgré son effet destructeur, ou d’une incapacité à se détacher longtemps après la fin de la relation » (Charest, 1992). Cette définition s’applique autant aux relations amoureuses, amicales que familiales.
L’inadaptation du dépendant affectif peut provenir de différents facteurs isolés ou combinés :
- L’incapacité à tolérer les frustrations socio-affectives
- L’incapacité de contrôler ses attentes
- L’incapacité à tolérer la solitude et le manque affectif
- L’incapacité à s’affirmer, à exprimer ses désirs, ses émotions et ses pensées
- L’incapacité à être empathique et attentif à l’autre
- L’incapacité à alimenter un réseau socio-affectif.
L’unique but du dépendant affectif est de se sentir aimé par une seule personne ou par plusieurs. Ce but devient obsédant et envahissant au point que la personne souffrant de ce fonctionnement est incapable d’apprécier d’autres activités. Son désir d’être aimé prime sur tout le reste. L’Amour ou la Mort ! L’Autre devient un objet addictif qui lui permet de ressentir cette affection tant désirée mais aussi de ne plus souffrir de son manque pendant ses courts instants de solitude.
Le dépendant affectif rentre dans un cycle addictif (Poudat, 2012) dans lequel il perd le contrôle :
Par exemple cette jeune femme qui souffre de sa dépendance affective à l’égard de son petit ami pense qu’à une seule chose : entendre «je t’aime» de sa part (Phase 1 de focalisation). Elle imagine tous les scénarios possibles pour lui faire dire indirectement ou directement. Ses projections l’enthousiasment, l’excitent, la rendent de bonne humeur (Phase 2 de stratégie). Elle décide de passer à l’acte. « Mon psy me dit toujours de m’exprimer, de dire ce que je désire ! J’y vais ! » (Phase 3 du passage à l’acte). Elle exprime directement sa demande de paroles d’amour. Son compagnon la comble. Elle est satisfaite. Très vite, elle ressent de la culpabilité, de la colère du fait d’avoir perdu le contrôle. (Phase 4). Elle se calme et à nouveau elle ressent le manque d’amour. Elle veut des preuves, se sentir aimée. (Phase 5). Le cycle est sur le point de recommencer …
La Thérapie Comportementale et Cognitive (TCC) de la dépendance affective
Le but des TCC de l’addiction affective est de retrouver de l’autonomie par rapport au besoin de l’autre en renforçant le contrôle de soi, sur sa pulsion socio-affective, sur ses émotions, sur ses pensées et ses comportements en vue d’établir des relations affectives satisfaisantes. Ce travail psychothérapeutique nécessite un véritable engagement de la part du patient par une pratique quotidienne.
La première étape des thérapies comportementales et cognitives (TCC) est d’apprendre à comprendre son dysfonctionnement en pratiquant l’auto-observation guidée par des grilles d’analyse fonctionnelle. La plupart des personnes ne se comprennent pas et ont des préjugés sur eux-mêmes. Il s’agit d’observer dans les situations réelles, concrètes ses pensées, ses émotions, ses comportements le plus précisément possible afin d’établir les liens de causalité entres ces différentes variables. L’observation de soi a la fonction évidente de s’enquérir de sa psychologie personnelle mais surtout elle offre l’avantage de modifier son rapport à soi, de prendre de la distance en se percevant comme un objet d’étude. Ici, l’auto-observation devient thérapeutique en soi.
La deuxième étape est celle qu’on peut qualifier de pulsionnelle utilisant la technique classique d’exposition avec prévention de la réponse centrée sur le besoin socio-affectif. Elle consiste à se mettre volontairement dans des situations où nous pouvons ressentir le besoin de créer ou de maintenir le contact comme par exemple les situations de solitude ou de séparation dans le but de vivre affectivement la pulsion socio-affective qui nous pousse vers l’autre sans y céder, sans passage à l’acte tout en y faisant face sans la combattre ou s’en distraire. La finalité de cet entraînement est de renforcer notre contrôle sur notre pulsion et accroître notre autonomie.
La troisième étape est celle du travail sur les cognitions, les attentes et les croyances (psycho-éducation sur le choix du partenaire, sur les relations affectives). L’identification des nos attentes permet de prendre conscience de leur adéquation avec la réalité de l’autre. Ce que j’attends de l’autre est-ce réaliste ? Le manque affectif est généré par le décalage entre les attentes affectives et les possibilités de satisfaction. « J’attends tout de l’autre ! » pourrait être l’emblème caricatural des dépendants affectifs. Cette étape est consacrée à la construction de nouvelles représentations
- de soi, de ce qu’on peut attendre de l’autre et de ce qu’on peut donner,
- de l’autre, de ce qu’il peut donner, de ce qu’il attend,
- de la relation affective (amicale ou amoureuse) son début, son évolution et sa rupture.
La quatrième étape est celle du comportement en particulier l’affirmation de soi. Le dépendant affectif étant tellement dans le besoin de l’autre qu’il est capable de tout pour maintenir le lien, de se soumettre, de se renier, de taire ses désirs, de toujours accepter ceux d’autrui, etc. L’affirmation de soi permet d’appendre à être soi en contact avec l’autre, de se respecter tout en respectant l’autre en apprenant à demander, à refuser, à critiquer, à complimenter et à exprimer son intimité sans craindre le rejet.
La dernière étape consiste à développer des relations sociales satisfaisantes pour soi et pour l’autre. L’exclusivité est déstabilisante et inadaptée. Il s’agit de développer un réseau socio-affectif réel et régulier. Notre stabilité affective provient d’échanges gratifiants de différentes personnes. De cette manière, nous dépendons de plusieurs et d’aucune en particulier. Notre autonomie résulte de nos différentes sources de nourritures affectives. Quand une se tarie ou se dégrade provisoirement, les autres compensent et nous abreuvent de leur douceur. Apprendre à créer et à maintenir des relations sociales satisfaisantes consiste à trouver un équilibre entre soi et les autres, entre nos plaisirs et nos peines.
Conclusion : Le désir de l’Autre est donc un besoin vital pour l’être humain inscrit dans son génome. Notre besoin affectif nous rend dépendant de l’autre. Nous ne pouvons donc pas nous en libérer totalement. Nous devons accepter cette nécessité intérieure qui nous relie à nos congénères pour apprendre à les choisir, à les aimer et à être aimé sans se trahir. De cette manière, la satisfaction de notre pulsion sociale nous en libère provisoirement et nous ouvre à de nouveaux horizons …
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