Dépression

On s’interroge – et on interroge souvent les psys – sur la différence qu’il conviendrait de faire entre « je vais mal » et « je suis dépressif ». Le premier état serait une tristesse passagère et mineure, et le second une tristesse permanente et grave. La dépression est souvent perçue dans notre société comme une tristesse récurrente qui tétanise l’individu. Il n’y aurait qu’une différence d’intensité. La psychiatrie elle-même a du mal à bien distinguer la tristesse de la maladie mentale qu’est la dépression. La prescription facile d’antidépresseurs tend à nier la différence entre les deux, pour le plus grand bénéfice des labos.

Par manque de disponibilité, les médecins répondent comme ils peuvent et au plus pressé à la souffrance de leurs patients. Pour vous prendre en charge dans le but de vous soulager, on vous classe dépressif, ce qui permet de médicaliser votre problème sans pour autant l’écouter. Une ordonnance, et l’affaire est réglée. Eh bien non, car la souffrance psychique n’est pas le monopole des dépressifs. Mais notre société occidentale est mal à l’aise avec la souffrance et encourage les individus à parler de « déprime » pour qualifier leur tristesse et leurs blessures. Ce vocable médical rendrait plus acceptable pour autrui notre souffrance personnelle. Nous ne sommes plus tristes mais nous déprimons ! Or il est important de réapprendre la tristesse, qui fait partie de toute vie normale.

La tristesse est la respiration du bonheur.

Nous devons apprendre à l’écouter, chez nous et chez les autres. Sans la percevoir nécessairement comme une maladie, mais comme un sentiment personnel qu’il faudrait partager, et pas seulement avec la médecine. La souffrance psychique peut utilement trouver un écho et une écoute auprès de proches, ou d’un interlocuteur neutre. Parfois aussi, elle peut avoir des causes purement biologiques tout à fait curables, comme nous allons le voir un peu plus loin.

Le thermostat de l’humeur

Pour comprendre ce qu’est la dépression, il faut revenir à la base de notre fonctionnement normal. Contrairement à une opinion répandue, la névrose, cet état de mal-être psychique qui nous titillerait tous, n’est pas la norme. La norme physiologique et psychologique est la santé mentale et le bien-être. Mais qu’est-ce que le bien-être et la santé mentale ? La santé mentale est la capacité d’un individu à s’autoréguler. L’humeur n’est pas quelque chose de stable, nous sommes tous sujets à des hauts et à des bas. La santé mentale est un équilibre, et la norme une position acceptable par la société, mais surtout par vous-même. Cela signifie que vous réussissez à satisfaire à peu près vos désirs, à faire face aux agressions de tous ordres sans vous effondrer, et à contenir les vôtres. Même si vous êtes triste. Le schéma ci-dessous des variations de l’humeur montre bien que, si notre moral ne fonctionne pas de manière linéaire, nous ne sommes pas pour autant dans un état pathologique. Le verre reste à moitié vide ou à moitié plein, du moins tant que nous ne basculons pas hors de nos limites hautes et basses habituelles.

 Les variations de l’humeur

L’humeur n’est pas la vie mais le regard que nous portons sur la vie et la coloration que nous lui donnons. L’humeur n’est pas constante, nous gérons en permanence et inconsciemment un équilibre. Une mauvaise nouvelle et nous filons acheter quelque chose pour nous consoler, une bonne et on arrivera à faire la tâche qui nous rebute depuis des jours. Sans pour autant faire systématiquement le lien entre ces faits. Mais lorsque la question de l’humeur se pose parce qu’elle vous pose vraiment un problème, lorsqu’elle devient consciente, vous devez vous inquiéter. Reste à savoir quand on dépasse la norme et à quel moment on doit la traiter. Normalement l’humeur s’autorégule. La pathologie survient quand cette régulation ne se fait plus d’elle-même. La dépression est une dérégulation qui vous maintient trop bas, vous êtes alors en dépression ; ou trop haut, dans un état d’euphorie incontrôlée dû à la prise d’antidépresseurs (ce qu’on appelle un « virage maniaque »), ou en cas de bipolarité, une dépression cyclique qui vous fait passer d’un extrême à l’autre, trop haut, trop bas. Et dans un paroxysme dans les deux cas : votre thermostat de l’humeur est HS, et votre « radiateur » ne fonctionne plus ou chauffe trop.

 L’esprit : une pyramide mentale

Notre esprit ressemble à une pyramide hiérarchique. La base serait nos pulsions. Le corps intermédiaire serait les émotions, et le sommet notre cognition : la conscience avec ses pensées.

Notre esprit est donc motivé à la base par la satisfaction du plaisir et du désir, et par l’aversion de la douleur. Nous recherchons systématiquement ce qui nous est agréable et nous fuyons ce qui nous est désagréable. Ces motivations sont le fondement premier de notre « organisation psychique ». Ensuite, à l’étage du dessus, se trouvent les émotions. On peut en compter six : la joie, la colère, la peur, la tristesse, la surprise, le dégoût. Toutes ces émotions sont universelles, transculturelles. En entraînant des troubles divers, les émotions sont des réactions corporelles à des événements, extérieurs ou intérieurs à nous-mêmes. Elles nous adaptent à l’environnement en nous indiquant ce qui est bon ou mauvais pour nous. Elles sont plus complexes que nos pulsions. Une fois dépassé l’étage des émotions dans notre pyramide mentale, nous arrivons enfin au sommet : la conscience avec ses pensées. C’est ce que l’on appelle le « système cognitif ». La conscience est l’étage de contrôle qui coordonne les exigences pulsionnelles et émotionnelles des deux premiers étages de la pyramide, par des commandes mentales et des actions sur l’environnement extérieur. L’autorégulation de l’esprit provient du bon fonctionnement de l’ensemble, qui permet à nos motivations d’être satisfaites et préservées.

La pyramide mentale déstabilisée

Parfois, l’esprit malade n’est plus capable de rechercher ce qui lui plaît ou d’éviter ce qui le fait souffrir. La maladie est un dysfonctionnement de la norme individuelle. Nous ne parvenons pas à revenir à notre état initial, cette autorégulation bienheureuse qui nous permet d’aller à peu près bien.

Il existe un continuum entre la tristesse « normale » et la dépression, et ce sont les mêmes structures nerveuses qui sont sollicitées pour la tristesse normale et pour la dépressive. Mais attention !

 La dépression n’est pas une tristesse plus intense et plus longue.

 C’est une vraie maladie dont le dépressif n’est pas responsable. La dépression est une tristesse pathologique, une dérégulation globale de l’esprit. Elle perturbe toute la pyramide mentale à tous ses niveaux. Vous êtes dépressif quand vous n’êtes plus capable de satisfaire vos motivations (plaisir et désir), et êtes alors submergé par vos émotions, vos pensées négatives, et par tout ce qui vous arrive. La tristesse normale devient pathologique non par sa durée ou par son intensité, mais par votre incapacité à pouvoir la réguler par vous-même. Autrement dit par l’impossibilité de l’apaiser, de la distraire, de l’éviter ou de la combattre. Par exemple, être triste après une rupture amoureuse est normal. Mais cette tristesse devient pathologique quand tout votre espace mental reste occupé par ce problème sans dialogue intérieur avec vous-même, ni moyen de vous en défendre. Au point que même l’idée de l’autre – celui qui est parti – disparaît, vous n’êtes plus que souffrance repliée sur vous-même, plusieurs semaines ou plusieurs mois durant. Dans ce cas-là, la rupture amoureuse ne déclenche pas une douleur romantique (un deuil normal suivi de la pensée que l’autre est un salaud pour rétablir l’équilibre – vous l’aimerez toujours mais la vie est possible ailleurs) mais une dépression.

 Comment se comporter face à un dépressif ?

Il est inutile de stimuler, d’encourager ou d’agresser celui qui souffre de dépression. Il souffre sans pouvoir réagir. Il est le spectateur empathique de sa douleur. Comme nous venons de le voir, la dépression est une désynchronisation de la raison et de l’émotion. Le dépressif ne peut plus agir sur sa tristesse. Cette dernière le domine. Il entend les conseils bienveillants ou malveillants de son entourage. Il voudrait les suivre. Il en est incapable ! C’est comme demander à un paralytique de se lever et de marcher. Être présent et à l’écoute du dépressif, sans juger, et l’accepter comme il est en attendant une amélioration de son état, c’est déjà faire beaucoup pour lui. Et vous trouverez tout au long de ce livre de bonnes solutions pour l’aider.

 Une nouvelle définition de la dépression

La définition pharmacologique de la dépression la décrivait comme un ensemble de symptômes typiques causés par un dysfonctionnement de la sérotonine, et pouvant être soignés par les antidépresseurs. Cette définition réduit l’ensemble du fonctionnement du cerveau dépressif à des perturbations moléculaires. Il est donc logique que les laboratoires pharmacologiques défendent cette ancienne définition. Grâce à elle, la dépression est ce qui se traite par leurs produits commercialisés. D’ailleurs, que les labos cherchent ou non à promouvoir leurs conceptions, la définition pharmacologique de la dépression justifie par elle-même l’achat et la vente d’antidépresseurs.

Pourtant, aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de réduire la dépression à une perturbation de la sérotonine. C’est une maladie du système nerveux dans sa globalité. La dépression est présente lorsque l’on n’est plus capable de satisfaire ses pulsions à la base de la pyramide du fait de difficultés émotionnelles (angoisse, tristesse, colère), cognitives (pensées négatives et raisonnements erronés), comportementales (comportements inadaptés) ou situationnelles (solitude, divorce, chômage). Cette définition fonctionnelle s’oppose à la vision pharmacologique réductrice de la dépression, qui voudrait la limiter à une simple perturbation des neurotransmetteurs qu’il suffirait de traiter chimiquement. Car les dérégulations sont observées sur l’ensemble du cerveau en neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf), laquelle ouvre de nouvelles perspectives en donnant une vision dynamique de l’activité cérébrale. Un comportement, une émotion, un désir se traduisent par une variation de la consommation d’énergie des neurones. Les anomalies deviennent éminemment repérables car le propre d’une maladie psychiatrique est de fixer le cerveau dans un mode de fonctionnement, ce qui peut se corriger. Elle n’en altère pas la structure anatomique comme le font les maladies neurologiques.

On repère dans ce cas des zones d’hyperactivité ou d’hypoactivité. La dépression est la plus lisible de ces perturbations en imagerie fonctionnelle du cerveau : en cas de dépression, un dysfonctionnement cérébral global apparaît, les réseaux de neurones cognitifs et affectifs ne s’accordent plus pour réguler vos émotions. Cette neuro-imagerie fonctionnelle pourrait à terme constituer une méthode de diagnostic. Seul le prix d’un tel examen éloigne pour l’instant cette solution. Mais sachez que la souffrance que vous vivez et les signes cliniques que collecte le médecin devraient suffire, comme nous le verrons, à établir un diagnostic.

Il existe aussi une méthode ancienne, peu utilisée et qui pourrait servir à de telles investigations, c’est l’électro-encéphalogramme (EEG). Car l’activité électrique du cerveau montre, comme à l’IRMf, une hyperactivité droite et une hypoactivité gauche dans le cas d’une dépression. Cette technique d’observation peut être installée chez n’importe quel psy et est donc très accessible. Au-delà de cet aspect pratique, l’EEG recueille des signaux électriques témoins de votre activité mentale. Alors que la majorité des psychiatres et des neurologues ne l’utilisent pas pour diagnostiquer et évaluer les troubles dépressifs, on retrouve chez 80 % des personnes souffrant de dépression une anomalie électrique corrélée à leur souffrance, comme l’a constaté la psychiatre Josefina Ricardo-Garcell en 2009, très récemment donc. Il devient alors primordial d’évaluer ces anomalies pour diagnostiquer la dépression, d’autant que les profils des dépressifs diffèrent les uns des autres. Cet EEG peut les identifier en fonction des anomalies électriques particulières de leur cerveau. Sinon, comment soigner une maladie sans prendre en compte la spécificité de ses symptômes ? Nous verrons en fin d’ouvrage que ces informations sont primordiales et utilisables pour un traitement par la stimulation magnétique, qui soigne l’épisode dépressif sans médicaments en agissant sur ces anomalies électriques.

La dépression se voit donc à l’IRM, comme nous venons de l’expliquer. Elle peut s’entendre dans ce que vous dites au médecin. Mais elle se mesure aussi objectivement, par des signes cliniques précis et des tests, comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce livre. C’est pourquoi vous ne devez pas vous contenter d’un « diagnostic » trop souvent asséné sans réelles investigations. Il vous abonnerait à coup sûr aux antidépresseurs, sans pour autant régler vos difficultés.

Les symptômes que vous ressentez et ce qu’on leur fait dire

L’approche classique (dépassée) de la dépression se base sur des signes extérieurs de mal-être assez réducteurs, une liste de symptômes avec neuf critères diagnostiques prétendument « imparables ».

Critères non spécifiques

  • Humeur dépressive
  • Perte d’intérêt ou de plaisir pour les activités
  • Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée
  • Idées suicidaires récurrentes
  • Critères non spécifiques
  • Troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie)
  • Agitation ou ralentissement psychomoteur
  • Troubles de l’appétit (augmenté ou diminué avec perte ou gain de poids)
  • Difficulté de concentration
  • Fatigue ou perte d’énergie

Pour affirmer le diagnostic de dépression, la présence d’au moins cinq critères est nécessaire, dont au moins deux critères spécifiques. Votre souffrance se résume à l’addition d’un certain nombre de signes. Cette conception classique, bien établie dans un manuel appelé DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), psychiatrise vos états d’âme. Votre tristesse, votre chagrin, votre vague à l’âme se transforment en dépression.

Cette vision centrée sur les symptômes de la dépression ne prend pas en compte les causes qui peuvent y mener… ou non. Nous les détaillerons à la suite dans cette première partie du livre afin que, si elles vous concernent, vous puissiez les combattre au mieux.

Attention aussi aux tests psychométriques de mesure standardisée de votre mal-être, également fondés sur cette définition superficielle de la maladie mentale : vous êtes triste pendant plus deux semaines, vous êtes dépressif. Ce qui n’est évidemment pas certain ! Par exemple, le rappel d’un souvenir douloureux dans votre vie se traduira par un score élevé au test. Ce score n’indique pas la dépression mais la souffrance psychique. Ces instruments statistiques propres à juger l’évolution d’une pathologie avérée, et utilisés pour évaluer l’efficacité d’un médicament, sont aujourd’hui devenus des critères diagnostiques, des signes qui feront de vous un « dépressif ». Ces tests consensuels rassurent tout le monde, y compris le patient qui a besoin de mettre un nom sur son mal-être. Plus la définition de la dépression est large, plus les médicaments seront demandés et vendus… On comprend pourquoi on peut souvent finir sous antidépresseurs.

Les Thérapies Comportementales et Cognitives de la Dépression

Au cours d’une dépression, vous vous mettez à fonctionner automatiquement à l’envers, vous ne retenez plus que des informations négatives. Ce fonctionnement perdure tant qu’il n’est pas pris en charge directement. Les antidépresseurs, la stimulation magnétique ou les électrochocs ne guérissent pas les causes de la Dépression. Il est donc nécessaire de modifier vos schémas de pensées pour repartir sur de bonnes bases et éviter les rechutes.

 Nos réponses programmées

Dans notre vie, que nous allions bien ou mal, l’essentiel des problèmes que nous rencontrons sont résolus de façon automatique. Ces schémas de pensée, que les thérapeutes comportementalistes appellent les « schémas cognitifs », sont des réponses programmées qui nous mettent en phase avec le monde sans dépense d’énergie. Sans ces schémas cognitifs, nous devrions réapprendre à marcher tous les matins. Nous sommes tous impliqués dans des automatismes de pensée liés à notre culture, notre construction, notre situation dans la vie. On le sait bien dans notre travail : l’habitude d’un métier quel qu’il soit nous permet de le faire dans les pires situations, comme si le pilote automatique était branché. Il en est de même pour notre appréhension de la vie quotidienne. Mais ces schémas de pensée qui nous aident à vivre peuvent aussi nous emprisonner. Un mauvais conditionnement peut nous amener à voir ainsi la vie en noir. En effet, ce fonctionnement automatique s’alimente, bien ou mal, de la réalité. Il va chercher ce qui l’intéresse dans l’événement ou la situation qui lui est proposé, afin de se mettre en marche pour fournir une réponse adaptée : un étudiant ayant échoué à un partiel malgré ses efforts de travail peut ainsi attribuer son échec à un prof trop exigeant ou au manque de chance. Mais s’il a des schémas négatifs, il pensera que c’est bien la preuve qu’il est nul. Il ne s’agit pourtant que d’un examen.

 Ces schémas nous offrent donc une interprétation du monde et des solutions. Ils sont gravés et conformes dans le temps : face à une situation, vous fournirez à travers eux toujours la même réponse, ils constituent une sorte d’identification de vos comportements. Ces schémas cognitifs échappent à notre conscience pour nous épargner un travail inutile. Mais heureusement, cette conscience peut être convoquée à tout moment, elle contrôle. Imaginons par exemple que vous et vos amis en balade dans la rue êtes témoins d’une bagarre. Vous savez que, spontanément, Gilles va foncer pour les séparer, François va appeler les flics, et Dominique va tellement se poser de questions qu’il n’interviendra jamais. Si vous voulez contrôler la situation (consciemment), vous vous tournerez simplement vers les trois en leur demandant : alors, qu’est-ce qu’on fait ? Et vous agirez tous ensemble, en donnant une réponse adaptée à la situation.

 Cette fonction de contrôle se concrétise souvent, sous forme verbale (notre dialogue intérieur) et sous forme visuelle (nos images mentales). Autre exemple qui nous ramène au fonctionnement de ces schémas au sortir d’une dépression : si votre esprit est imprégné de schémas cognitifs liés à cette maladie, c’est-à-dire négatifs, vous vous entendrez dire à quelqu’un qui vous propose du travail que vous n’êtes pas à la hauteur, que vous n’êtes pas digne d’être aidé, que cette personne fait une erreur et qu’elle a peut-être une arrière-pensée. Heureusement vous êtes guéri, et une petite voix intérieure vient vous rappeler que vous avez besoin de travailler, que la personne qui vous le propose est au-dessus de tout soupçon, et qu’elle ne fait que vous offrir un poste dans vos capacités. Le contrôle est là, et a fonctionné. Ce système de contrôle (conscient) nous permet de nous sentir exister comme quelqu’un d’indépendant et autonome. Il intègre le sentiment d’être soi, nos facultés intellectuelles, notre capacité attentionnelle volontaire, notre capacité de travail, de planification de décision, et notre capacité d’inhibition. Sauf quand les schémas mentaux court-circuitent toutes ces fonctions, quand vous conduisez par exemple, ou lorsque vous préparez votre café le matin.

Cette modélisation de la pensée est intéressante dans la dépression, car elle permet d’envisager une prise en charge psychothérapeutique complémentaire.

 Les schémas de pensée à restaurer

Le « facteur cognitif » de la dépression, c’est l’action de nos schémas de pensée sur notre émotion. Les dépressifs souffrent de leurs schémas de pensée négatifs. Pour les cognitivistes purs, la dépression est même causée par ces schémas cognitifs. Pour le vérifier vous-même, essayez de visualiser une scène de rupture que vous avez vécue et ressentie : le départ de votre amoureux, la colère de vos parents, le rejet d’un ami. Remémorez-vous bien la scène et maintenant faites attention à votre ressenti. Comment vous sentez-vous ? Ne vous sentez-vous pas triste ? Peut-être même un peu en colère ? Vous avez expérimenté par vous-même que nos pensées nous affectent directement. De la même manière, le dépressif souffre directement de ses schémas de pensée, qui maintiennent sa douleur indépendamment de son environnement. Vous avez beau lui dire qu’il n’est pas responsable de la pluie, il s’en attribuera la paternité. Ces schémas de pensée ne sont pas conscients. Nous n’avons conscience que de nos pensées sous forme de phrases ou d’images, parfois de mélodies et de senteurs. Et celles-là peuvent être sous notre contrôle ou avoir été automatisées par répétition (à force de se dire « Je suis nul, je suis nul, je suis nul », ou « Je suis le meilleur, je suis le meilleur », tout ce qui nous arrive finit par être interprété au travers de ce filtre).

Les processus de pensées dans la dépression

Ces raisonnements automatisés traitent les pensées, les associent entre elles. Le psychiatre et psychologue américain Jesse H. Wright a listé ces processus chez le dépressif en 1993.

1. Le raisonnement émotionnel : mes conclusions dépendent de mon état. « Je me sens triste, donc je n’intéresse personne… »

2.  La surgénéralisation : la conclusion « évidente » est tirée d’une seule expérience. « On m’a viré une fois, donc aucun patron ne me gardera. »

3. La pensée catastrophique : ce processus est un exemple extrême de généralisation dans lequel l’impact négatif de l’expérience est amplifié. « Après ce terrible chagrin d’amour, je ne me laisserai plus jamais aller à aimer quelqu’un ».

4. Le raisonnement dichotomique : ce processus complexe conduit à ne penser qu’en termes extrêmes, de façon manichéenne. « Ou je suis bon ou je suis nul. »

5. Devoir, falloir : je raisonne en fonction d’impératifs catégoriques que je me suis fixés et qui organisent de manière rigide une forme de contrôle des événements extérieurs. « Je dois être le meilleur partout. »

6. La prédiction négative : j’utilise le pessimisme pour prédire prématurément l’échec dans une nouvelle situation. « Ça ne peut pas marcher. »

7. La lecture de pensée : mes conclusions se basent sur des déductions négatives des intentions, des pensées et des motifs des autres. « Puisqu’on ne me téléphone pas, c’est qu’on ne m’aime pas. »

8. L’étiquetage : une caractéristique négative d’un événement ou d’une personne devient ma caractéristique définitive. « Puisque je n’ai pas été embauché, je suis un perdant. »

9. La personnalisation : l’interprétation d’une situation ou d’un comportement induit une caractéristique négative de moi-même. « Il n’a pas voulu de moi, donc je suis laide. »

10. L’abstraction sélective : des événements indésirables ou négatifs prennent le dessus des événements neutres ou positifs. « Un cauchemar, ces vacances, il n’a fait que pleuvoir. »

11. L’évitement cognitif : les sentiments et les événements déplaisants sont perçus comme insurmontables, alors je les supprime ou les évite. « Faut que j’arrête de penser à ça. »

12. La focalisation somatique : j’ai tendance à interpréter les stimuli internes (palpitations, gorge serrée…) comme des indicateurs fiables d’une catastrophe imminente. « Je vais faire un infarctus, c’est sûr. »

Les schémas cognitifs se divisent en deux catégories, les conditionnels et les inconditionnels. Ils ressemblent à des postulats mentaux. Les schémas conditionnels s’expriment sous forme de Si…, Alors, Donc… Par exemple : « Si personne ne m’aime, je n’ai aucune valeur personnelle. » Les schémas inconditionnels sont les structures mentales les plus globalisantes et les plus envahissantes. Par exemple : « Je ne vaux rien. »

Les principaux schémas cognitifs des dépressifs (Kleftaras G., 2004)

  •  Je dois toujours être une bonne personne.
  • Je dois être aimé(e) par tout le monde et plaire à tous.
  • Ma valeur en tant que personne dépend de ce que les autres pensent de moi.
  • Soit je suis quelqu’un qui a complètement réussi, soit je suis un raté.
  • Si les autres ne sont pas d’accord avec moi, cela veut dire que je ne suis pas bon.
  • Je dois toujours avoir le meilleur rendement possible et la meilleure performance dont je sois capable.
  • Je dois être capable de tout faire par moi-même.
  • Demander de l’aide, c’est de la faiblesse.

Le « facteur cognitif » est fondamental pour plusieurs raisons. Il peut expliquer votre dépression si vous souffrez effectivement des schémas cognitifs dépressifs. Mais surtout, ce facteur prédit la guérison -ou non- de votre dépression. L’important est de prévenir la rechute. Car soigner l’épisode est simple, mais la guérison complète sans rechute est plus difficile. Vous pouvez être soigné de votre dépression avec des antidépresseurs par exemple, mais si vous n’entreprenez pas un travail sur vos pensées et sur les schémas qui les sous-tendent, vous rechuterez irrémédiablement.

 Le traitement, quel qu’il soit (médicaments, SMT, etc.) d’un épisode dépressif n’en modifie pas la cause cognitive

Les Thérapies Comportementales et Cognitives des Schémas Cognitifs de la Dépression 

Les TCC suivent un programme thérapeutique spécifique à chaque trouble, dont la dépression. Elles traitent aussi certaines de ses causes possibles en amont, comme nous vous l’avons expliqué dans la première partie du livre chaque fois qu’elles pouvaient vous offrir une solution. Ces thérapies sont évaluées avant et après. On peut ainsi mesurer leurs effets. Ici, la psychothérapie n’est plus une cure par la parole, mais un acte thérapeutique constitué d’exercices mentaux et comportementaux orientés vers le soin d’un trouble précis.

Le traitement des schémas cognitifs

Comme nous l’avons expliqué dans les pages précédentes, le traitement, quel qu’il soit, d’un épisode dépressif, n’en modifie pas la cause cognitive. Celle-ci peut être soignée en utilisant justement ces thérapies comportementales et cognitives. Le programme prévu au cours d’une dépression comprend plusieurs étapes.

– De la première à la troisième séance : recueil de votre histoire personnelle, analyse de vos schémas cognitifs (la manière dont vous gérez habituellement les situations de votre vie), explication de la méthode et définition des objectifs.

– De la quatrième à la sixième séance : étude de vos schémas cognitifs (pensées automatiques).

– De la septième à la dixième séance : recherche des alternatives aux pensées négatives, test de la réalité (entre deux séances, on vous demande de réaliser une expérience concrète précise, de vous mettre dans une situation susceptible de réfuter votre anticipation systématique d’échec).

– De la onzième à la quinzième séance : exercices visant à modifier vos schémas cognitifs dépressifs pour les remplacer par des pensées positives (comme apprendre à remplacer « Personne ne m’aime » par « Certains ne m’aiment pas, mais d’autres m’apprécient à ma juste valeur »).

– Ensuite et le temps nécessaire, suivi une fois par mois de l’évolution de vos schémas cognitifs.

Les premières séances servent à bien comprendre votre problème. Avec le thérapeute, vous allez apprendre à mettre en relation les événements que vous vivez avec vos interprétations, vos émotions et vos comportements. Cet exercice est ce que l’on appelle l’analyse fonctionnelle (voir ci-dessous). L’exercice n’est pas évident. La plupart des patients commencent par parler de ce qu’ils ont vécu et ressenti, sans quasiment jamais évoquer leurs pensées pendant les situations décrites.

Le but de l’analyse fonctionnelle est de comprendre votre problème psychologique. Elle consiste à observer point par point les variables de votre comportement (pulsions, émotions et cognition de notre pyramide mentale) et de les relier à la manière dont elles s’expriment dans différentes situations. On peut ainsi identifier d’où viennent vos difficultés, et par là d’où vient votre souffrance. Car vos émotions, par exemple la tristesse, la colère ou la peur, ne sont pas causées directement par une situation extérieure mais par l’interprétation que vous en faites. Comme dans cette grille d’analyse fonctionnelle en six questions, réalisée avec une jeune femme. Elle n’était pas dépressive mais très perturbée de se sentir en colère sans comprendre pourquoi.

Première question : Quelle est votre situation problématique ?

Réponse : J’ai accompagné mon petit copain à la gare. Il m’a annoncé la fin de notre relation.

En général, juste après avoir dit ça, le patient exprime son émotion mais pas ce à quoi il a pensé à ce moment-là, qui est à l’origine de son ressenti. Cela donne…

Deuxième question : À quoi avez vous pensé ?

Réponse : Quel conard ! Depuis le temps que je suis restée auprès de lui alors qu’il n’allait pas bien ! Maintenant qu’il va mieux, il se casse…

Pour le thérapeute, cette réponse induit une émotion, qu’il va demander à la patiente de décrire, on passe donc à l’aspect affectif.

Troisième question : Que ressentiez-vous ?

Réponse : De la colère, aucune tristesse.

Quatrième question : Quelle motivation avez-vous ressentie ?

Réponse : Du déplaisir, de l’agressivité.

Cinquième question : Dans quel état était votre corps ?

Réponse : contracté, très contracté.

Sixième question : Quelles actions avez-vous réalisées ?

Réponse : Je lui ai dit « D’accord, salut ! », je suis partie et j’ai éteint mon portable.

Cette femme ressent de la frustration et de la colère, trouvant la situation injuste, sans rapport avec ses attentes ni ses schémas irréalistes (je donne, on doit me rendre). Cette analyse lui a permis de mieux comprendre ses réactions, et de réaliser qu’elle aurait dû mettre fin bien plus tôt à cette relation, maintenue plus par devoir que par amour.

Cette grille d’observation s’applique à tous vos comportements. À tout moment, vous pouvez vous analyser avec ce modèle : À quoi je pense ? Qu’est-ce que je ressens ? Quelle est ma motivation ? Qu’est ce que je fais ? Quelle est la situation extérieure ? Quand ça va bien, quand on fonctionne bien, on n’a même pas à se poser ce genre de questions, rassurez-vous. Mais quand ça va mal et quand on souffre sans comprendre, cette auto-observation est le fondement de votre changement thérapeutique.

 Modifier vos pensées « dépressogènes »

Répétons-le : le plus important dans la thérapie cognitive des schémas est l’identification et la modification de vos pensées « dépressogènes ». Ce sont vos pensées qui vous dépriment et alimentent votre dépression. Essayez pendant une heure de vous dire mentalement : « Je ne sers à rien », « Personne ne m’aime », « Je suis seul », « À quoi bon vivre ? », « Ma vie est un échec », « Je ne ressemble à rien », « C’est toujours la même chose, rien ne change »… Si l’exercice vous tente, vous remarquerez que votre humeur en pâtira et deviendra douloureuse. Pour le dépressif, ce n’est pas un exercice. C’est un fait permanent. Ce monologue intérieur négatif commence le matin et se termine le soir, parfois depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Les TCC se concentrent sur ces pensées et appliquent des techniques pour tenter de les modifier avec le patient.

Les TCC de la Dépression sont un traitement médical prouvé pour son efficacité. 

One thought on “Dépression”
  1. Je tenais à vous remercier ! Bonsoir, sentant venir une nouvelle vague dépressive, j’ai pensé aller sur le net trouver des conseils pour faire face… Et je suis tombé sur vos commentaires… Je voulais vous remercier de donner accès a ce type d’information. Ce qui est décrit dans vos propos correspond parfaitement à ce que je vis, pense et ressens. Vous lire m’aide déjà beaucoup ! Reste à faire le travail de réflexion personnel, ce n’est pas gagné ! Mais le fait déjà de comprendre ce qui se passe en soi est déjà énorme ! MERCI

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